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LE BLOG DES SAINTMARONS
21 décembre 2005

Récit n°4

Santa Fe de la Vera Cruz

dscn6786                                              

Il y a à Sainte Foy de la Vraie Croix des chevaux qui entrent dans la ville.

Ils rentrent le soir dormir dans les quintas, dans la zone maraîchère où l’on cultive des légumes extraordinaires. Ils vont et viennent chargés de ferraille, d’oranges et de citrouilles inconnues.

Il y a à Santa Fe un pont suspendu, à présent restauré et, qui double le grand pont en direction de Parana Capital. Il faut mettre son cheval au galop, pour le traverser, car ils sont effrayés par l’armature qui monte droit au ciel des fleuves.

Il y a une lagune immense, du nom de Guadeloupe, ou alors on emploie un autre mot, Sétubal, et c’est la même, presque la même.

Les ponts sont à une des sorties de la ville en direction du rio Santa Fe, éponyme d’elle même.

Je préfère Guadalupe, parce qu’il y a une vierge tout au fond de la lagune, et autrefois on y allait en pèlerinage, sur des chariots. Comme à Séville, où ils vont de l’autre côté du Guadalquivir, jusqu’au Rocio.

Il y des chevaux encore et toujours, et les mots sont comme des fruits, doux et amers ou l’inverse. Ou si tu veux, tu as la bouche, les dents aussi, couturées de saveur et de texture inconnues.

Dans la bouche, sur les lèvres, sur la langue, le grain de la peau de celui ou de celle qui vous bouleverse.

Il y a, à Sainte Foy de la Vraie Croix, un élévateur de grains que l’on voit de tous les côtés de la ville et des fleuves. Il y a le port contigu, qui sommeille dans une rouille tropicale.

Il y a le boulevard Alem, refait de neuf depuis que la ville a été submergée par l’éventrement de la digue qui la protège du grand fleuve.

C’est un boulevard sur le côté de la ville, entre elle et le port. Et quelquefois le soir, on le perd quand on le cherche, parce qu’on dit des bêtises et qu’il est tard, et qu’il faut s’arrêter de faire le bébé. Alors dans la voiture, les petits chapeaux de clown passent de travers.

Il y a qu’il faut, à son extrémité nord, celle de l’Alem, passer sous les rocades des ponts, pour rejoindre et entrer tout droit sur la Costanera, la Croisette, le long de la lagune.

De très larges trottoirs, carrelés de nostalgie, comme un regret insistant d’une grandeur passée.

C’est à votre droite, pour que vous puissiez bien vous le figurer ; puis les clubs de sport et de gymnastique, les restaurants de poissons, le Quincho de Chiquito qu’il s’agit de retrouver dans la nuit.

Pour manger du surubi, du dorado, de la boga et même des oxymores cuits sur des disques de charrues.

L’oxymore n’est pas un poisson, mais de peu. C’est une figure de style, consistant à parler d’un poisson de terre, par exemple. Et l’oxymore n’est pas hasardeux, il est bien là entier sur le brasero. Parce que les poissons du Parana sont vraiment des poissons de terre, c’est à dire d’eau douce, qui n’ont pas l’odeur de la vase mais de la terre. Je ne sais pas pourquoi.

Dans les grandes salles du restaurant, Carlos Monzon nous observe de ses petits gants rouges d’énervé ténébreux.

Et encore le rouge, celui du Gauchito Gil , tranquille et féroce, dans sa niche. A côté de celle de la vierge de Guadalupe, recueillie, hiératique. La nuit, ils sortent des niches et se prennent sauvagement, tendrement. Le matin -heureusement que personne n’est là- le restaurant dort encore- ils dégoulinent toujours.

Toujours et tous les jours.

Voilà, et un autre jour, il faut manger.

C’est déjà le milieu de l’après midi, presque. De la rue piétonne, Far West de ses enseignes-guirlandes au dessus de la chaussée, nous passons du restaurant de la bonne société santa fecine, à un long couloir plus loin. Déjà dans des rues désertes, un restaurant turco, que nous laissons, pour s’enfoncer dans le quartier Candiotti jusqu’à la Terminal.

Il faut se figurer, d’une certaine façon, le centre nerveux de la ville, on part, on arrive, on y va quand il n’y a plus rien à faire nulle part. A la Terminal.

La Terminal de Santa Fe est omniprésente dans les livres de Saer, comme la pluie. C’est ainsi dans toutes les villes argentines, petites ou grandes.

San Justo où cette femme s’est mis à pleurer de l’intérieur d ‘elle même quand elle comprit que nous étions français.

La Terminal de Bs As que connaît comme sa poche, qui n’est pas si petite, Didier.

Ce sont tout à la fois des aéroports, des gares comme celles où arrivent nos trains, des commerces de tout genre, des cours des miracles, des lieux où l’espace et le temps sont suspendus alors qu’il n’est question partout que d’horaires, de retards ou d’avances, de départs et d ‘arrivées.

Il y a une sorte de boulevard qui passe devant celle de Santa Fe, d’un côté des boutiques, des bars où l’on peut manger de tout, de toutes les façons. Elles annoncent la Terminal, c’est son quartier.

De l’autre côté, celle-ci s’allonge, bordée de taxis, toute dans sa longueur comme sa fonction l’y prédispose.

On y accède par quelques marches. Au deux tiers, l’entrée principale où s’ouvre le hall, avec le grouillement attendu, les annonces qui voltigent au dessus de la tête, écrites et parlées.

A main droite, le grand couloir qui dessert les arrivées.

Quand tu marches, tu vois les annonces des départs très loin. Des mots étranges ou familiers. Les lignes internationales. Uruguay, Bolivia, ou Paraguay.

Celles de l’intérieur, Bs As, Cordoba, le sud, Corrientes ou Posadas.

Les destinations touristiques Iguazu, Mar del Plata, les thermes de Rio Hondo.

Dans le long corridor, s’ouvrent, se ferment des portes et des portes, ouvrant aux épis où se garent les machines énormes. Rutilantes et neuves, américaines ou des autobus à demi détruits qu‘on prendrait plutôt en photographie qu’en voyageur.

On ne va pas à main droite aujourd’hui, on y va suffisamment en France, dit le guide depuis dix ans. Donc à main gauche, où se tient après les boutiques de la galerie marchande, l’immense restaurant et bar. C’est un gymnase dont le plafond seul n’est pas dans les dimensions sportives.

Il y a des télévisions presque au plafond, et le championnat faisant relâche, on a droit à d’interminables rétrospectives et des « gooooooo…l » que couvre presque le brouhaha du restaurant.

Plus tard, encore un autre jour que celui de la Terminal, tu sais Christian celui de la Terminal, c’est le même que celui des magasins où l’on oublie l’heure…

Le soir, dans cette ville tropicale, il fait nuit, il fait froid, très froid. Nous marchons sous les lumières jaunes, les mêmes qu’à Puerto Iguazu, dans le centre historique.

Place de guingois, mais grande, avec des arbres immenses, et cette architecture abandonnée de la colonie, au bout de la ville, près du fleuve qu’on ne voit jamais. Un couvent, ses galeries de bois, ses puits, l’église San Francisco, et encore tout un ensemble, que nous voyons, apercevons, devinons presque, dans la pénombre. Monde oublié de l’Argentine d’aujourd’hui, surtout ici dans la plaine, supposée créée à partir de rien, par les arrivants de la fin du dix neuvième siècle. Sans indiens, ni l’exubérance de ce monde hors dimensionné pour les européens.

Il faut imaginer Santa Fe, la plus ancienne ville de la plaine pampéenne, oubliée, ruinée, équivoque, tellement équivoque que personne ne va plus à Santa Fe, ni les touristes étrangers non plus que les argentins.

Elle garde son statut de capitale, mais à des années lumière de Rosario dans la même province (pour mémoire nom complet Rosaire de la Sainte Foy, casque de pompier à un feu tricolore, nouveau pont sur le Parana, soixante dix kilomètres jusqu’à Victoria en Entre Rios et aussi un peu par hasard lieu de naissance d’Ernesto Guevara).

Capitale donc.

Nous revenons en arrière, se rapprochant de l’animation de la ville, bien que ce soit toujours des espaces vides : la place du gouvernement, du parlement, le tribunal, deux églises très anciennes de la colonie, enchâssées dans les immeubles plus modernes de la place.

Et dans un coin de cette place, une fontaine. Des cormorans sinistres sont sculptés dans son bassin, une horreur de fin du monde. L’occasion de voir Dieu une fois de plus nous abandonner.

C’est déchirant de vanité, quand à quelques dizaines de mètres, on a laissé La tendre beauté de San Francisco, le parlement écrase tout. Au milieu de la place, des croix de bois parsèment l’espace autour de la statue dans son centre. Ecrits à la main, maladroitement, sur les croix, les noms de disparus de l’inondation de 2002.

Comme dirait Saer, dans une voiture aux vitres à l’insistante buée, qui monte et remonte la Costanera, le boulevard Alem jusqu’à cette place du Tribunal et du Parlement, et inversement :

Tout ce que doit être

et un ciel, bleu, qui s’enfonce

dans le branchage des après midis

que je traverse

comme on se lève, aveugle

d’un lit de cendres.

Bienheureux

Ceux qui sont dans la réalité

Et ne confondent pas

ses frontières.

Elégie à Pigeon Garay (L’art de raconter Arcane 17).

Juan José SAER est né à Serodino, bourg de la plaine santafecine, en 1937.

Serodino se situe à quelques kilomètres au nord de Rosario. Tout près de Puerto Gaboto sur le Parana, lieu historique de la colonisation du pays, certes pas très glorieux pour les gringos, puisque les indiens finissent par bouffer les européens, et la plaine par envahir les constructions des hommes.

Il est mort l’été dernier. D’un ultime excès de réalité. Il fumait trop, écrivait trop et trop longtemps, ne se contentant pas comme la plupart, du premier débordement qui vient dans la langue. Lui commençait alors,

à décrire minutieusement,

tranquillement enragé

jusqu’à l’excès de réalité,

jusqu’à l’excès de sensation,

les pieds nus sur le carrelage,

l’ombre de la branche sur le mur,

jusqu’à sa dissolution.

Dieu nous préserve qu ‘ils ne lui donnent jamais le Nobel de littérature…

dscn6812                                                       

A demain pour le fleuve, et les asados dans les îles.

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